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Paul est un garçon de 10 ans, autiste atypique. Cet été je l'emmène vivre une grande aventure dans les steppes de Mongolie.

De battre mon coeur a continué (partie 2)

De battre mon coeur a continué (partie 2)
De battre mon coeur a continué (partie 2)
De battre mon coeur a continué (partie 2)
De battre mon coeur a continué (partie 2)
De battre mon coeur a continué (partie 2)
De battre mon coeur a continué (partie 2)

Nous sommes au coeur de la Mongolie et vivons quelques jours avec les nomades, partageant les taches quotidiennes, les jeux, les repas. Le point d'orgue de ce projet un peu fou. Paul a vite intégré le fonctionnement de la communauté et les coutumes, notamment le fait que l'on puisse entrer dans une yourte sans frapper et que dès que l'on y entre, on vous offre à boire et à manger. Il fait donc un circuit de yourtes en yourtes. Je le vois entrer, sortir, entrer à nouveau, rejoindre la famille voisine et ainsi de suite. Je crois qu'il mange toute la journée. Petit trublion qui vient troubler la quiétude du campement. Parfois, je le perds de vue et je dois visiter chaque famille pour le trouver finalement, confortablement installé sur une banquette près d'un poêle, un gâteau à la main. L'ignorance et la spontanéité de Paul créent des situations cocasses. Comme ce petit jeu qu'il a appris avant de partir, celui du "j'ai attrapé ton nez" et qui consiste à coincer son pouce entre l'index et le majeur. Il fait la blague à tout le monde indifféremment en éclatant de rire. J'apprendrai juste avant notre départ que ce geste de la main équivaut pour les mongols à un majeur agressivement dressé.. Nos hôtes ont heureusement tous fait preuve d'humour et d'ouverture d'esprit sur nos différences culturelles. J'envie parfois cette liberté de comportement qu'a Paul même si ce n'est pas conscient de sa part : danser, sauter, courir en agitant les bras, rire aux éclats pour tout et n'importe quoi. Ce qui peut le faire souffrir, c'est la réaction des autres en retour, ceux qui sont empêtrés dans le "il faut que.. On n'a pas le droit de ..". Je crois que c'est Hugo Horiot qui a eu cette phrase : on ne souffre pas d'autisme, on souffre du regard des autres. C'est exactement ça.

Je passe un long moment à observer les yacks, des animaux réellement exotiques à mes yeux et images d’Epinal de l'Asie centrale. Les éleveurs l’utilisent comme animal de bât mais aussi pour sa laine et son lait avec lequel ils fabriquent notamment l’ « urum », sorte de crème fraîche. Le lait de jument, mousseux et fumant,  est versé dans l’outre à "airak" (ou koumiss) à gauche en entrant sous la yourte. L’outre traditionnelle est faite en peau de mouton et il faut battre le lait pour enclencher le processus de fermentation.Bientôt le lait sera piquant, presque pétillant et légèrement alcoolisé. Nous assistons chaque jour à la traite des juments, vaches et yacks. Les jeunes sont regroupés dans un enclos dans lequel Paul passe une bonne partie de ses journées. Formidable terrain d'exploration sensorielle : il veut toucher, caresser, sentir. Les mongols ont un lien étrange avec les animaux, une capacité à communiquer avec eux par quelques onomatopées qui n’en finit pas de me surprendre : ils leur parlent, chantent à l’oreille des juments pour qu’elles donnent du lait, crient "tchou" pour lancer leur monture au galop… Et j'ai l'impression que Paul a ce don. Les éleveurs s'étonnent de le voir caresser tranquillement la tête d'une vache qui ne se laisse d'ordinaire jamais approcher. C'est l'heure de la traite. Les cousines de Saran  font venir les petits sous leur mère. Ils commencent à téter pour activer la montée de lait puis elles leur retirent la mamelle de la bouche et les éloignent. Elles traient ensuite avec dextérité et rapidité. Je les admire ces femmes, incroyablement belles, sans artifices, et qui accomplissent par tous les temps, sans répit, leurs tâches quotidiennes. Leur vie est dure et leur sourire lumineux.  Narantsitsik,l'une des deux cousines que j'avais rencontré lors de mon premier voyage, propose de nous initier à la traite Paul et moi. Assis sur un petit tabouret de bois, mon fils semble perplexe, si frêle au côté de cette femelle yack. Narantsitsik guide sa main jusqu'aux  pis du placide animal. Ses mains sur les siennes qui tremblent un peu, elle lui donne l’impulsion pour accomplir cet acte vital et séculaire. Après quelques tentatives, je vois le visage de Paul qui s'illumine. Le lait gicle et mousse au fond du seau en fer: maman, il y a du lait ! Quelle fierté !  Je repense à ses heures passées en psychomotricité et ergothérapie, à ces gens qui me disaient qu'il ne saurait jamais tenir un crayon ni boutonner sa chemise. Paul, sois fier mon fils, tu ne sais peut-être pas encore nouer tes lacets mais tu sais traire une vache en Mongolie.

J’aime ce rythme de vie, tout est si simple, si paisible. La vie dans la nature nous rend si intensément vivants. J'ai adoré cette nuit de tempête passée sous la yourte, le vent, la pluie, la foudre et nous deux tapis sous notre tente de feutre... De jour, Paul revient à ses obsessions, il veut monter à cheval, tout le temps. Il questionne donc en boucle, 10 fois, 20 fois, 100 fois : "Et après, je fais une balade à cheval ?". Il la pose indifféremment à tous ceux qu'il croise si bien que les mongols apprennent rapidement un mot de français "cheval" ! Ils ont perçu l'étrangeté de mon fils, je crois, et se montrent patients, souriants, protecteurs. Mais les étalons du troupeau sont très nerveux. Une nuit, les loups les ont encerclés et ont attaqué un poulain. Nous retrouvons le jeune animal le lendemain avec une large blessure à la cuisse. Les hommes du campement le soignent en espérant qu'il s'en sorte. Paul ouvre de grands yeux en découvrant sur le poil blanc du jeune animal une longue traînée de sang : il y a des loups ici, maman ? C'est étrange de le voir réaliser que cet animal dont on entretient la peur primale chez tous les enfants à travers des histoires existe bien en chair et en os. Oui mon fils, nous ne sommes pas dans un livre de contes, nous sommes au coeur de la nature sauvage. De vrais loups vivent là, dans ces forêts, tout proches. Je frissonne. Mais j’aime aussi me sentir fragile, le lien avec la communauté n’en est que plus fort et nous oblige à l’humilité. 

Paul fera du cheval mais dans une famille nomade voisine dont les chevaux sont plus habitués à être montés. Nos enfants pensent plaisir et loisir pour s'occuper. Les enfants mongols sont responsabilisés très tôt, et chacun a un rôle spécifique qui lui est confié. J'observe le jeune Temulin, 8 ans,  accomplir consciencieusement son "travail" quotidien: je suis sidérée de le voir fendre les bûches d'un tas de bois plus haut que lui à grands coups de hache. Puis, lorsque le jour baisse, il regroupe les chèvres et moutons qui la journée paissent librement dans la steppe. Il les enferme ensuite dans un enclos près de la yourte pour les protéger des attaques nocturnes des loups. C'est aussi un adorable compagnon de jeux pour Paul. Il l'initie à la lutte mais mon petit français ne fait pas le poids du haut de ses 10 ans. Temulin le met à terre quatre ou cinq fois de suite. Paul, hilare, le regarde célébrer sa victoire en se frappant les cuisses et en faisant la danse de l'aigle, rituel traditionnel des lutteurs mongols. Sa maman m'invite à partager un bol d'airak sous sa yourte, un moment passé entre femmes. Grâce à la traduction simultanée de Saran, nous pouvons échanger de façon plus intime. Elle pense que Paul est fait pour la vie nomade, qu'il est libre, qu'il a l'air heureux. Elle se souvient très bien de ce moment que nous avions partagé il y a 20 ans, de cette soirée sous le ciel étoilé autour d'un immense feu, des chansons que j'avais chantées. Elle voit de la mélancolie dans mon regard et me demande ce qui s'est passé dans ces années écoulées. Et là, bêtement, je ne sais que me mettre à pleurer, mon bol de lait à la main. Plus besoin de parler, elle me prend doucement la main. Le coeur d'une femme qui parle à celui d'une autre femme, le coeur d'une mère à celui d'une mère...

 

Demain, il faudra partir.Il vient de pleuvoir et il monte de la steppe la douce odeur de la terre abreuvée par l’averse. Je me souviens avoir regardé ce ciel somptueux, aspiré à plein poumon l’air ambiant, ce calme ponctué du rire des enfants, du hennissement d’un cheval. Les femmes préparent le repas du soir dans la lumière d’un crépuscule d’été.  Ce n'est pas notre réalité à Paul et moi mais c'est une réalité qui existe sur cette terre, et cela fait du bien de penser qu'elle est. Nous vivons une époque difficile, incertaine. Le terrorisme, les changements climatiques, la xénophobie, l'intolérance et la violence qui l'accompagne sous toutes ses formes. Ces dernières années et le handicap de Paul ont parfois mis à mal ma confiance en l'être humain. Et pourtant le monde est beau, et l'humanité est belle.  Comme l'écrit si justement un poète lisboète dont j'ai oublié le nom : " Ne t'habitue pas trop à la beauté, le monde n'est pas ainsi fait. Mais ne t'habitue pas trop non plus à la laideur, le monde n'est pas ainsi fait".  Un fleuve d’hospitalité coule dans les veines du peuple mongol. Ce sens inné de l’accueil témoigne du respect de valeurs ancestrales. Ces familles qui nous ont hébergés ne nous ont pas « invités » mais nous ont ouvert la porte et accepté comme un membre à part entière de leur foyer. Les images des gestes de tendresse que chaque membre du clan a manifesté pour Paul au moment du départ resteront gravées dans ma mémoire. Ici bat le coeur de la Mongolie, ici de battre mon coeur a continué...

De battre mon coeur a continué (partie 2)
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